Le soutien est-il genré ? / Il y a achat et achat/ Nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres.
Ce qui manque d’essentiel dans la formation de nos élèves ? L’apprentissage de la confiance en soi, notre lien à l’univers, au cosmos, des exercices d’admiration, d’étonnement, des actes de célébration. Apprendre à développer le bien-être de l’esprit. On enseigne (très peu) celui du corps et on laisse, le religieux ayant été à peu près évacué, celui de l’esprit en friche.
Or ce qui était une plus value du religieux, hors bazar théologique, c’était l’enracinement d’une conscience dans la confiance. Cette absence n’a été remplacée par rien, si ce n’est la ritaline et les infirmières scolaires.
Le soutien entre amis est-il genré ?
Souvenir d’une discussion entendue dans un bistrot, à la table voisine de la mienne, en des temps pré-COVID (où cette notion même n’existait pas encore).
Deux trentenaires se rencontrent au Sushi bar. Ils se connaissent, ont travaillé ensemble et se sont donné rendez-vous après un certain temps alors que l’un des deux a été viré de la boîte d’assurances dans laquelle l’autre travaille encore.
(Celui qui a encore du boulot) :
- Ah ! Je suis tellement content de savoir que tu vas bien.
S’emmanche une discussion qui portera tout entière sur les changements qui ont eu lieu dans la boîte depuis que le licencié est parti :
(Celui qui a encore du boulot) :
Oui, Mylène de la compta. Non, je ne lui parle plus. Et tu sais Christophe ? Il a eu la grande place de parking alors que sa voiture est très petite. Et toi ?
(Le licencié, qui a manifestement retrouvé un boulot moins enviable) :
- J’ai mon salaire de 10.000.- par mois pendant 6 mois puis je retombe à 6000.-. Mais oui, ça va bien. Les collègues sont sympas.
- Le café est gratuit ?
- Non, on le paie 25.- l’étui, ça va…
S’ensuit une espèce de joute étonnante sur les menus avantages financiers de l’un et de l’autre, lesquels semblent les révélateurs clé du statut social. Pour moi qui ne peux pas faire autre chose qu’entendre, c’est aussi passionnant qu’embarrassant. Il me semblait que le soutien d’un ami à plus malheureux que soi devait prendre une autre forme…
Et brusquement, dans la discussion, il y a comme un déséquilibre, clairement en faveur de celui qui a gardé son emploi, sur le comptage muet des points bonus.
Le chanceux rétablit aussitôt :
- Oui, mais en fait, toi, tu es mieux. D’ailleurs, moi je ne vais pas rester dans cette boîte longtemps. Je vais faire comme toi, chercher autre chose...
Et je comprends soudain que je viens d’assister à une véritable séance de soutien, que le soutien est peut-être genré, que c’était sans doute de la psychologie colorée de testostérone.
Il y a achat et achat
Différence entre un achat aléatoire, qui donne l’impression d’acquérir quelque chose de plus qui vient alourdir la masse des objets possédés, et l’achat d’un objet (vêtement, appareil, accessoire) qui donne l’impression de la rencontre parfaite parce qu’il permettra de se débarrasser de beaucoup d’autres objets, comme un achat qui efface le superflu.
Derrière le pragmatique, il y a du psychologique.
Derrière le psychologique, il y a du métaphysique.
“Nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres.”
On peut partir de n’importe où pour penser l’éducation ou en parler.
De n’importe où parce que dans l’éducation réside le projet d’une société, la visée d’une humanité.
Rien de moins.
Le piège est de commencer par un bout qui nous mue aussi sec en technocrates de la formation.
J’aimerais commencer par quelque chose qui a fonctionné comme déclencheur pour moi.
Quelque chose qui met (un peu) au pied du mur les 40 ans que j’ai vécus dans ce milieu.
Quelque chose qui a sonné comme un cri.
Celui de ceux qui sont le plus concernés.
Ceux qui savent où ils iront même s’ils n’ont pas appris grand-chose, même si nous croyons que nous avons tout à leur apprendre.
Les jeunes. (Même si ça fait vieux de le dire comme ça).
Parce que, à côté de ce qu’on leur apprend, ils sont mus par leur conatus (pour parler comme Spinoza), cette force qui, dans tout le vivant, pousse les existants à persévérer dans ce qu’ils sont, dans ce qu’ils deviendront. Ils ont des antennes, ces jeunes, ils sont comme des télotropes, pour forger un néologisme, tournés vers leur but même s’ils ignorent encore lequel il est exactement.
Parce qu’il n’y a pas que le cerveau informé, formé, qui pense. Parce que le vivant pense aussi, la vie en eux. Une vie qui tend à durer plus longtemps que la nôtre, nous qui les observons. Parce qu’ils sont mus, sans le savoir, par une intelligence plus grande qu’eux, qui pense à travers eux.
Et ce simple fait devrait déjà nous mettre la puce à l’oreille sur ce qui devrait changer dans l’éducation.
Mais voilà : ce déclencheur, qui vient d’eux et qui déboulonne mes (quasi) certitudes tient en ce slogan, brandi à bout de pancarte pendant les manifs de 2019 pour le climat :
“Nous ferons nos devoirs quand vous ferez les vôtres.”
Et la première chose qui me vient, bien avant ce que le slogan dénonce (le fait que nous ne faisons pas le boulot pour sauver la planète et ce qui vit dessus), et ce sur quoi il ironise, le parallélisme autorisé par la polysémie (devoirs scolaires et Devoir, éthique, moral), aussitôt démoli par la dissymétrie abyssale (gentils devoirs scolaires arbitraires, inventés par les adultes vs Devoir moral, vital pour la planète et ce qui vit dessus) qui, précisément, donne toute sa force au slogan. Non, ce qui me vient en premier lieu (mais peut-être comme une synthèse éclair de ce que je viens de montrer) c’est un doute, à la fois insidieux et franc (qui s’instille par un interstice, celui de l’événement de la manifestation, aussitôt accepté comme une certitude de la pensée et qui s’impose comme ce sur quoi il va falloir, vraiment, réfléchir) c’est la question de savoir si les devoirs qu’on leur donne (dans l’arbitraire du scolaire géré par les adultes) valent (sous le regard transcendant d’une humanité menacée) la peine d’être faits.